juillet-août 2010
BRUNE Élisa, FERROUL Yves,
Le Secret des femmes, Voyage au cœur du plaisir et de la jouissance, Odile Jacob, 2010.
À quoi peut bien servir l'orgasme des femmes ?
Voilà le type de question qui fait bouillonner les esprits des chercheurs.
L’orgasme masculin est une nécessité évolutive : comme il est lié à l’éjaculation de façon quasi systématique, il pousse les hommes à rechercher cette éjaculation, ce qui rend féconds beaucoup de jeux sexuels qui ne visaient pas la procréation, et assure ainsi la survie de l’espèce. L’évolution animale est donc responsable de sa mise en place et de son maintien.
Tandis que pour les femmes, leurs ovules peuvent être fécondés et une grossesse s’installer sans qu’elles aient le moindre orgasme. Les chercheurs se sont alors cassé la tête pour trouver une justification à l’orgasme féminin alors que le caractère automatique de l’ovulation ne le nécessite pas.
La première idée qui vient serait que l’orgasme inciterait les femmes à chercher les rapports, et donc à multiplier leurs chances de reproduction. Mais les statistiques n’établissent pas de lien entre avoir facilement des orgasmes et avoir plus de rapports. D’ailleurs la grande majorité des femmes a plus aisément des orgasmes, et plus fréquemment, en dehors de la pénétration vaginale que lors de celle-ci, ce qui n’est pas en faveur d’une facilitation de la conception !
L’orgasme inciterait-il les femmes à rechercher l’homme capable de le leur procurer ? L’orgasme féminin n’étant pas facile à obtenir, les femmes, pour l’avoir, chercheraient le « bon amant », l’homme sensible, patient, empathique, etc., c’est-à-dire celui qui a toutes les qualités pour être aussi un bon père et s’occuper au mieux de sa progéniture. Ainsi chercher l’homme qui peut vous donner un orgasme serait chercher celui qui assurerait le maximum de chances de survie aux petits. Mais est-ce que ce sont vraiment les hommes qui donnent leurs orgasmes aux femmes, ou les femmes qui savent ou pas se les donner ? Il est vrai que certains partenaires peuvent entraver cette obtention, et d’autres la favoriser. Mais la quasi-totalité des femmes dans les sociétés que nous connaissons depuis les premiers temps de l’Histoire ne peuvent pas choisir le père de leurs enfants en comparant par des essais les qualités sexuelles des prétendants ! À la rigueur, on pourrait dire que, quand elles peuvent choisir leur conjoint, elles repéreraient dans la vie sociale les hommes les plus attentionnés et les plus sensibles, en espérant qu’ils le seraient aussi au lit…
D’autres chercheurs ont imaginé que l’orgasme féminin permettait à un homme de s’attacher à une femme par fierté de la faire jouir : mais les différentes sociétés ne donnent pas vraiment l’image d’hommes captifs, retenus au près des femmes !
Ou encore : l’orgasme permet à l’utérus d’aspirer le sperme au moyen des contractions qu’il a lors de la jouissance. Malheureusement, l’orgasme de la femme et l’éjaculation de l’homme n’ont que rarement lieu en même temps. D’autre part, les expériences sur le sujet concluent aussi bien à l’absence d’aspiration, ou à un effet contraire d’expulsion, qu’à un effet faible d’aspiration. S’il existe, l’effet positif ne pourrait être que très marginal, donc n’expliquerait rien.
Quand les chercheurs s’y mettent, leur imagination est sans limite, et leurs trouvailles parfois cocasses. Mais il faut se plier à l’évidence : l’orgasme féminin ne joue aucun rôle dans l’amélioration de la reproduction de l’espèce, et par suite dans sa survie.
Il n’est donc pas un produit direct de l’évolution. Sans conditionnement évolutif, il n’est pas formaté, pas stéréotypé, et le temps a permis à de multiples variantes de se mettre librement en place.
L’orgasme féminin est donc une aventure pour chaque femme, qui a à déchiffrer son propre système de fonctionnement, à découvrir les règles du jeu particulières à son corps, afin de s’offrir cette jouissance originale, et de l’enrichir à sa façon, hors de tout chemin balisé.
Consulter - une étude fouillée du livre par Jean-Paul Baquiast : Jean-Paul Baquiast
- un article de Flora Yacine : Flora Yacine
- des articles d'Agnès Giard : http://sexes.blogs.liberation.fr/2014/02/26/la-querelle-du-sperme/
http://sexes.blogs.liberation.fr/2012/04/12/pourquoi-avons-nous-des-orgasmes-/
http://sexes.blogs.liberation.fr/2012/02/10/faisons-nous-lamour-pour-nous-reproduire/
Europe 1, Michel Field : Café découvertes
Michel Field interroge Élisa Brune et Yves Ferroul sur leur livre, et replace la réflexion sur l'orgasme féminin dans le cadre du mouvement de libération des femmes.
Roselyne Fayard interroge Yves Ferroul sur le livre, dans le cadre de son émission Les hommes et les femmes, mode d'emploi. (une bonne minute d'installation, mais une heure d'interview)
RTBF 1. Gabrielle Stéfanski : Parlez-moi d'amour
Interview d'Elisa Brune et de Yves Ferroul par Gabrielle Stéfanski, le samedi 9 octobre 2010 à 22h, lors de son émission Parlez-moi d'amour.
Le site médical questionne Yves Ferroul sur son livre : une vidéo de présentation où l'auteur explique les raisons du choix de ce sujet, et souligne les points qu'il estime les plus intéressants dans sa réflexion.
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Septembre 2010
CYRULNIK Boris, Mourir de dire la honte, Odile Jacob, 2010.
La honte est un sentiment qui peut causer de gros dégâts dans les vies du honteux comme de son entourage. Boris Cyrulnik propose une analyse de ce sentiment, toujours concrète, illustrée de mille exemples éclairants, qui va petit à petit nous fournir tous les outils pour le décoder, en saisir les ramifications, et ne plus être désarmé devant nos propres hontes aussi bien que devant un patient honteux.
La honte est provoquée par la conviction que l'autre nous méprise, ce qui peut correspondre à la réalité ou être totalement imaginé. Elle mine la confiance en soi, et entraîne dans une spirale de souffrance, de repli sur soi, de rejet du contact, qui détruit peu à peu la personnalité.
On se sent dégradé.
La honte a besoin pour s'installer du concours de plusieurs éléments : une faille dans la personnalité de l'individu, des liens déficients avec les proches, un rapport d'exclusion à la société et à la culture ambiantes. Un milieu qui fait vivre " une privation sensorielle précoce, un appauvrissement du tissage des liens sécurisants par abandon parental ou dépression des personnes censées protéger vont très peu stimuler les neurones de la base du cerveau de l'enfant et provoquer une atrophie frontale ". " Le petit être vivant qui se développe dans un tel milieu perd le plaisir de vivre (...), il évolue vers l'indifférence affective ". " Une fois que le cereau est construit, il prend moins aisément l'empreinte du milieu. Ce sont alors les conditions externes qui déterminent les modes de réaction à un événement..."
" Avant l'énoncé de la Loi, l'enfant s'impose déjà des limites. S'il est peu sensible au regard des autres, il n'apprendra pas à freiner ses pulsions, comme un pervers ou un psychopate. Mais s'il y est trop sensible, il risque d'accorder la priorité à ce qu'il imgine du monde de l'autre, et de trop s'inhiber.
Une petite honte est donc la preuve d'une bonne maturation biologique et d'un bon développement des aptitudes relationnelles. Une grande honte révèle une sensibilité exagérée proche de la crainte, une tendance à se dépersonnaliser pour laisser la place à l'autre. Quant à l'absence de honte, elle témoigne d'un arrêt du développement et d'une incapacité à se représenter d'autres mondes que le sien. " (p.140)
On peut réagir à la honte par la rêverie, devenir mythomane, entrer dans le déni, mais aussi tout occulter par la réussite scolaire ou sociale : ces moyens sont risqués et provisoires, la moindre épreuve peut tout faire craquer ! De plus, nous pouvons très bien être leurrés et devenir " des proies pour les sectes et les dictateurs qui nous promettent de retrouver le bonheur qui vient de nous échapper ".
Mais il existe des moyens constructifs d'échapper à la honte, en changeant les autres (" on ne peut vraiment se libérer de la honte qu'à la condition préalable que les amis, la famille, le quartier et la culture deviennent soutenants ") et en se changeant soi : 40 à 75 % des victimes s'améliorent lentement, les enfants entourés et sécurisés, les adultes qui ont tissé un lien affectif stable, tous ceux qui ont pu " se reprendre en main et s'investir dans un rêve d'avenir ".
Honte de l'immigré, du juif, du noir, de la femme, de la victime du racisme, de la pauvreté, de l'échec scolaire, de la violence des codes du groupe social, de la servitude au chef, de la brutalité sexuelle... La liste est infinie des situations d'apparition de la honte, " mais ce poison de l'existence ne crée pas un destin inexorable ". Un entourage affectif sécurisant et dynamisant, permettant de se projeter dans l'avenir, peut tout contrebalancer !
Tel est le message réconfortant et stimulant que nous livre Boris Cyrulnik, nourri par toute son expérience, aussi bien celle de sa vie personnelle que celle de sa vie de chercheur et de thérapeute.
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Octobre 2010
CHABACH Amal, Docteur,
Le Couple Arabe au XXIè siècle, Casablanca, 2010.
Le docteur Amal Chabach est sexologue, diplômée de Bobigny. Elle exerce à Casablanca, et prend en charge les problèmes sexuels individuels comme les problèmes conjugaux. Les caractéristiques spécifiques dues à la religion musulmane, à la culture arabe, ainsi qu'aux traditions marocaines l'ont amenée à écrire sur le couple arabe actuel.
Touchée par le nombre d'échecs des couples, émue par les souffrances confiées dans l'intimité de la consultation, elle propose une réflexion sur les conditions de la vie à deux dans cet univers particulier.
En effet, la société marocaine contemporaine a ses spécificités : le poids de la tradition (l'influence des mères sur leurs fils et leurs filles, l'envahissement du couple par les familles ou les belles-familles, les règles du choix du conjoint, etc. : tous ces éléments sont d'ailleurs présents dans la société française, mais à un degré moindre) va entrer en contradiction avec les conditions socio-économiques actuelles du pays et les nouvelles attentes des individus qui se marient, en contradiction avec la " modernité " de type occidental. Les tabous sur la sexualité, les modèles parentaux témoins d'autres règles de vie sociale que celles d'aujourd'hui (notamment sur la place des femmes), l'absence d'éducation sexuelle scolaire, nombreuses sont les pesanteurs qui entravent l'épanouissement de la sexualité conjugale.
Amal Chabach va donc tout reprendre depuis le début, et, de façon très pédagogique, expliquer ce qu'est la vie à deux : ignorer les conditions réelles et concrètes de la vie du couple ne permet pas à une femme et à un homme, élevés dans la tradition, d'établir une relation confiante et complice, de savoir se parler, se confier leurs aspirations. Ni de comprendre leurs différences, de se respecter, de s'estimer. Ni de construire ensemble un couple épanoui.
Quant à la sexualité, l'ignorance, très répandue, de l'anatomie et de la physiologie de son propre corps comme de celui de l'autre sexe, la méconnaissance des mécanismes de l'excitation, de la jouissance, de la maîtrise de l'éjaculation, tout concourt à rendre le parcours des couples périlleux. L'auteur prend donc soin d'énumérer les problèmes sexuels habituellement rencontrés, en explique les causes et le déroulement, donne les grandes lignes des solutions. Elle rappelle opportunément que, pour réussir son couple, il faut réunir trois savoirs, un savoir physique, un savoir émotionnel et un savoir relationnel :
" Le savoir physique englobe la réponse biologique et physiologique du corps, le contrôle et la gestion des sensations physiques, la prise de contact avec la sensualité. Pour son accomplissement, nous avons besoin de connaître parfaitement notre anatomie et celle de notre partenaire. "
" Le savoir émotionnel comprend tout ce qui concerne le désir sexuel, la manière de dépasser nos blocages et nos préjugés sexuels, de laisser l'amour se développer, de s'exprimer sans chantage ni conditions et dans le respect mutuel. Pour son accomplissement, nous avons besoin de nous ouvrir à l'autre, à nous-mêmes, à l'amour et à son expression. "
" Le savoir relationnel est basé sur une bonne communication verbale, l'expression de nos besoins, de nos souffrances ou de nos frustrations, et cela sans attaquer ou agresser notre partenaire, tout en sachant résoudre les éventuels problèmes. "
En somme, un livre très pédagogique, qui s'adresse en priorité aux jeunes gens désireux de se marier comme aux couples établis, au sein d'une culture marocaine d'abord, et plus largement, arabe. Livre de préparation à la vie de couple, il intéresse le sexologue européen par ce qu'il nous apprend des particularités de cette culture. Et comme nous avons des patients qui viennent de ce pays et de pays de culture semblable, ou sont imprégnés de cette culture, ce livre nous permet de mieux les comprendre ainsi que d'avoir l'ouvrage à leur conseiller : ce livre pourra ainsi jouer pleinement le rôle dont rêve pour lui son auteur, rendre heureux le couple arabe d'aujourd'hui.
Docteur Amal Chabach, médecin sexologue
Angle boulevard Sidi Abderrahmane et route d'Azemmour, Casablanca
05 22 90 49 24 E-mail : lohastro@yahoo.com www.amalchabach.com
L'édition française paraît le 19 mai 2011 chez QUITESSENCE (13 €)
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Novembre 2010
BRUCKNER Pascal, Le Mariage d'amour a-t-il échoué ?, Grasset, 2010.
Pascal Bruckner énonce d'entrée de jeu l'interrogation qui s'impose devant l'évolution historique du couple conjugal : " Sous sa forme classique, (le mariage) était accusé de tous les maux... Sous la forme contemporaine du consentement (c'est-à-dire que les conjoints se choisissent " par amour ") ... il crée de nouveaux fléaux sans annuler les anciens " (p. 13-14). Le mariage était chaste, aujourd'hui les époux lui demandent tous les deux l'intensité sexuelle. Il était mercantile ? il devient désintéressé. Froid ? il baignera dans l'affectivité réciproque. Contraint ? il sera libre. Ecole de renoncement ? il se voudra " porte d'entrée de l'épanouissement mutuel " !
Donc, a priori, le mariage est devenu plus libre et plus simple : pourtant les individus ont toujours baucoup de difficultés à renoncer à leur indépendance pour se lier à un conjoint.
En fait, fonder le mariage sur le sentiment revient à " mettre la loi au service des passions au lieu d'encadrer les passions par la loi ", à " fonder le durable sur le transitoire " (p. 26). Pour Pascal Bruckner, il s'agit là d'une " ambition délirante dont nous n'avons pas fini de sentir les effest " (p. 27).
Le rêve de Friedrich Engels, en 1884, de voir les couples vivre " l'amour individuel moderne entre les deux sexes, auparavant inconnu dans le monde ", ce qui amènera le surgissement " d'une génération d'hommes qui, jamais de leur vie, n'auront été à même d'acheter par de l'argent ou par d'autres moyens de puissance sociale l'abandon d'une femme et d'une génération de femmes qui jamais n'auront été à même de se donner à un homme pour quelque autre motif que l'amour véritable ou de se refuser à celui qu'elles aiment par crainte des suites économiques de cet abandon " (p. 47-48), ce rêve de liberté amoureuse et de liberté des femmes, a entraîné une survalorisation de l'amour, un basculement d'un dogme à un autre. Avant, le mariage tuait l'amour, depuis, l'amour tue le mariage : " on a voulu confondre l'amour et le mariage, domestiquer celui-ci, assouplir celui-là, résultat : on se marie moins, on divorce plus... "
La " démesure des ambitions " voulues pour le couple et pour chacun de ses membres est la casue de l'échec du couple contemporain. En donnant un but plus raisonnable au mariage, on rendrait le couple possible pour beaucoup plus d'individus, et non pour seulement quelques exceptions. Il ne s'agit pas de revenir en arrière, et personne ne rêve d'un couple fondé sur les contraintes d'autrefois. Mais en redonnant sa place à l'amour dans la vie humaine (non pas le critère exclusif de la réussite d'une vie), à côté d'autres activités " aussi vastes et aussi riches ", on sortirait de la spirale d'échecs et de souffrances actuelle.
" Le bonheur conjugal, c'est l'art du possible " (p. 134), et non la folie de l'impossible.
Cet essai est une réflexion sur le couple qui nous permet, comme sexologues, de comprendre les impasses dans lesquelles sont embarqués nos patients, afin de les aider à dédramatiser les situations qu'ils vivent ; et comme conjoints, présents ou futurs, de réfléchir au couple que nous sommes réellement capables de vivre avec notre partenaire, en nous détachant d'injonctions sociales destructrices.
Sexodoc
Site de documentation et de réflexion sur la sexualité