Sciences Humaines
Accueil

Sciences Humaines


Novembre 2010

Article de la rubrique « Actualité de la recherche »

L'autonomie, nouvelle utopie ?


De l'orgasme féminin...

Flora Yacine

 

Une enquête auprès des femmes et des recherches médicales récentes permettent de mieux cerner les secrets du plaisir féminin, resté longtemps discrédité ou objet de méfiance…

En publiant ses rapports explosifs sur la sexualité des êtres humains (en 1948 pour les hommes, 1953 pour les femmes), le docteur Kinsey perdit sa légitimité scientifique et se vit retirer tout financement pour ses recherches. D’autres précurseurs ont payé de leur carrière le fait de vouloir comprendre la sexualité, et particulièrement celle des femmes. S’il est bien un sujet difficile à aborder, même depuis la révolution des mœurs des années 1970, c’est celui de l’orgasme féminin. Longtemps réprimé, il reste encore aujourd’hui souvent un phénomène obscur, peu abordé et entaché de toutes les strates d’idées reçues qui sont venues s’accumuler au fil des temps.

C’est pourquoi Le Secret des femmes. Voyage au cœur du plaisir et de la jouissance, paru chez Odile Jacob en septembre 2010, est un livre qui fera date.

Élisa Brune, journaliste scientifique, et Yves Ferroul, sexologue, ne font pas qu’y retracer l’histoire malmenée de l’orgasme féminin. L’ouvrage réunit aussi les connaissances scientifiques les plus récentes sur la question et, dans une seconde partie, livre une vaste enquête, réalisée via Internet (média autorisant une nouvelle liberté de parole) sur « ce que les femmes en disent »… Et elles en disent beaucoup (encadré ci-dessous) !

Petit rappel historique d’abord. On a longtemps pensé que l’orgasme féminin avait une fonction biologique utile dans l’évolution : incitation de la femme aux rapports sexuels et donc à produire une descendance, sélection des hommes et stabilisation du couple, aspiration du sperme par les contractions du vagin favorisant la conception… Malgré les injonctions religieuses qui condamnaient les plaisirs de la chair, la jouissance féminine restait donc encouragée par les médecins.

 

Hystérie et frigidité

Or tout cela est aujourd’hui invalidé par les analyses scientifiques. S’il stimule les centres du plaisir dans le cerveau (ce que démontre l’imagerie cérébrale) en produisant de l’ocytocine, une hormone dont on ne cesse actuellement de découvrir les potentialités, l’orgasme féminin n’aurait « d’autre but que lui-même ».

Au XIXe siècle, lorsque la science établit clairement que l’ovulation est un processus systématique déconnecté de toute activité sexuelle, la jouissance féminine se voit dépouillée de toute nécessité. Dans ce siècle imprégné de puritanisme bourgeois, les femmes respectables ont intérêt à réprimer toute manifestation de désir ou d’érotisme, si elles ne veulent pas être taxées d’hystériques ! On apprend d’ailleurs dans ce livre que le « massage des parties génitales » (autrement dit la masturbation) était pratiqué par de nombreux médecins depuis l’Antiquité pour soigner les désordres physiologiques féminins. Sigmund Freud, quant à lui, ne manquera pas de mettre l’hystérie au cœur de sa théorie psychanalytique, en lui attribuant des traumatismes de l’enfance, une idée qui fait encore florès… Une « véritable OPA » sur la sexualité féminine, disent les auteurs : alors que les pannes sexuelles masculines ont trouvé des parades techniques efficaces (comme le Viagra), « l’orgasme féminin requiert toujours quinze ans de psychanalyse »

Une autre pathologie vient entraver le plaisir féminin dans les années 1950. Envers de l’hystérie, la frigidité concernerait 80 à 90 % des femmes, affirment des médecins américains. C’est que, derrière ces supputations, se cache un secret, soigneusement verrouillé par les sociétés androcentrées, selon lequel le plaisir des femmes ne pourrait venir que de celui des hommes. Dans les années 1970, le rapport d’une sexologue américaine, Shere Hite, fait scandale, en affirmant que l’orgasme féminin provient essentiellement de l’excitation clitoridienne.

Orgasme vaginal, orgasme clitoridien, ce distinguo, s’il perdure toujours dans les représentations, est – très récemment – devenu scientifiquement obsolète. Depuis les années 2000, les observations par scanner ou par sonographie montrent que le clitoris est un organe aussi important qu’un pénis, dont la plus grande partie est située à l’intérieur du corps et enserre le vagin. Le petit bouton que certaines sociétés décident d’exciser n’est que la partie émergée – pleine cependant de ramifications nerveuses – d’un iceberg qui ferait plutôt fonction de volcan !

 

Clitoris et cerveau

En réalité, si l’orgasme féminin est bien d’origine clitoridienne, il se manifeste à travers de multiples chorégraphies, issues de la conjonction d’un flux nerveux et d’un état mental : rapports sexuels, masturbations (aujourd’hui, l’usage des vibromasseurs ou des sex toys les plus divers connaît un succès grandissant), mais aussi excitations venues du cerveau, comme dans le cas de certains rêves ou de fantasmes éveillés qui peuvent le déclencher…

Et celles qui n’ont jamais connu l’orgasme ne constitueraient que 5 % des femmes, sans que ce handicap au plaisir soit jamais définitif. Car l’ouvrage de nos deux compères dévoile aussi toutes les arcanes du phénomène : s’il s’éprouve dès 3 ans, certaines ne le découvrent que beaucoup plus tard, sachant qu’il n’existe pas de limite d’âge pour la jouissance. Mais plus tôt on s’y sera livré, plus fortes et nombreuses seront les « expériences orgasmiques » tout au long de la vie. « Le sexe est un instrument de musique dont il faut apprendre à se servir. » Et sur ce point, l’enquête adjointe à ces analyses donne de l’orgasme féminin une diversité vertigineuse !


Ce qu'elles en disent...


« Un coup de tonnerre, une vague qui vous submerge, un tremblement de terre, l’envol d’un oiseau, une ivresse, une chute, une ascension, un tourbillon, un shoot… » . C’est un « foisonnement de vécus orgasmiques » que décrivent les femmes qui ont répondu à l’enquête d’Élisa Brune. « Établissez votre CV orgasmique », a proposé celle-ci sur son site Internet en 2009-2010. Plus de 300 Françaises et Belges se sont prêtées au jeu et ont répondu à une cinquantaine de questions. 65 % avaient entre 30 et 50 ans, 18 % de 18 à 29 ans et 17 % de plus de 50 ans. Extraits de leurs propos :

• « La première fois » : l’expression a deux significations, celle où l’on a fait l’amour, celle où l’on a joui. 40 % des femmes ont connu l’orgasme avant leur premier rapport sexuel (14 % avant 12 ans).

• La fréquence : 44 % jouissent « souvent ou toujours » durant un rapport avec leur compagnon, 31 % régulièrement, 25 % rarement ou jamais. Ce sont les plus expérimentées (qui ont découvert l’orgasme entre 12 et 15 ans), qui disent jouir le plus souvent. Celles qui ne jouissent pas systématiquement n’en apprécient pas moins l’acte sexuel, pour les caresses, l’excitation, la tendresse…

• La simulation : si 40 % déclarent n’avoir « jamais » simulé, il reste donc 60 % de simulatrices ! Mais plus souvent avec un partenaire de passage qu’avec le partenaire régulier. Les raisons avancées ? Lassitude (« pour en finir »), sollicitude dans d’autres cas, ou bonne volonté (« je suis bonne joueuse », déclare l’une d’entre elles).

• Un ou plusieurs orgasmes ? La plupart des femmes déclarent connaître plusieurs voies d’accès à l’orgasme : clitoris, vagin, seins, peau, fantasme ou visionnage d’un film porno… B

eaucoup disent éprouver des jouissances différentes, « superficielles » ou « cosmiques », selon les circonstances.

• La masturbation : 95 % de l’échantillon s’y adonne, avec une fréquence variable, presque tous les jours pour les plus gros appétits (« je suis une inassouvie sexuelle »), de temps en temps (« pour exciter mon mari »)…

Flora Yacine

  

Haut de la page

Sexodoc 

Site de documentation et de réflexion sur la sexualité