Définition de la pornographie
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La pornographie

Yves Ferroul


Étymologiquement, la pornographie (de pornè, la prostituée, et graphein, écrire), est une histoire de prostituée, un récit d’aventures purement sexuelles. Dans un sens plus général, c’est la mise en scène de la sexualité par l’intermédiaire d’un dessin, d’un tableau, d’un récit ; et aujourd’hui, en plus, d’une photo, d’un film, d’une revue. Mais dès que la sexualité n’est plus seule, dès qu’apparaît une connotation religieuse ou symbolique, on n’est théoriquement plus dans la pornographie, mais dans un domaine différent, l’érotisme par exemple.

On pourrait croire qu’il s’agit seulement d’une distinction de théoriciens, d’intellectuels. Comme le mot « pornographique » est assez péjoratif, on pourra toujours trouver une interprétation symbolique quelconque qui permettra d’attribuer l’adjectif noble d’érotique, et donc de faire classer dans les œuvres d’art (picturales, littéraires ou cinématographiques), ce qui serait tout simplement de la pornographie, et que les critères de l’art ne concernent pas. Mais la pratique montre que les amateurs établissent nettement la distinction. Par exemple, il y a des films érotiques qui assurent leur publicité de manière ambiguë pour faire croire qu’ils sont pornographiques et attirer un public plus large. Or plusieurs spectateurs sortent au bout de dix minutes : ils étaient venus voir du porno, pas de l’érotique, et ils ont très vite perçu la différence.

En somme, les représentations de la sexualité doivent provoquer l’excitation et amener à la jouissance. Certaines y parviennent en centrant tout directement sur cette jouissance : elles sont dites pornographiques. D’autres jouent davantage sur le conditionnement profond de l’excitation : elles sont érotiques.


Les critères du pornographique

Le Larousse précise que la pornographie est la présence de l’obscénité, celle-ci étant définie « ce qui blesse ouvertement la pudeur ». Mais la pudeur est un critère d’une grande variabilité. Quand une image blesse-t-elle la pudeur ? Une photo de femme en pantalon est-elle obscène ? Dans l’après-guerre, on a dit que si une femme violée était en pantalon le violeur avait des circonstances atténuantes, parce que, en s’habillant ainsi, la femme avait moulé de manière provocante les attributs de la féminité : elle avait donc été ouvertement impudique. Pourtant photographier les fesses d’une femme en pantalon ne suffira pas pour créer une photo pornographique. Il semble bien que dans la représentation de la sexualité des éléments particuliers doivent être présents pour qu’il y ait vraiment pornographie.

Pour l’image statique, c’est le nombre d’ouvertures montrées, de béances du corps représentées, qui caractérise la pornographie, l’érotisme se contentant de suggérer, de faire imaginer. En comparant les tableaux exposables dans les musées et ceux qui sont relégués dans les enfers, le critère de sélection paraît avoir été la représentation réaliste ou non des organes génitaux et de l’accouplement. Les bas-ventres lisses, sans poils et sans fente, ou sans pénis, ceux qu’une feuille de vigne, un branchage providentiel, un voile, une cuisse relevée, une main négligemment posée désexualisent, tous ceux-là peuvent être montrés. De même, tant que Vulcain en est à soulever les voiles de Vénus, les vieillards à regarder de loin Suzanne, le cygne à s’approcher de Léda, le tableau est acceptable puisque le rapport est évoqué seulement par allusion, qu’il n’existe que dans une suite à imaginer de la scène peinte.

Quant au récit en mots ou en images, il est pornographique lorsqu’il raconte la recherche de la jouissance, et rien d’autre. Les romans sont presque toujours des histoires d’amour où les personnages vont tenter de séduire afin d’avoir des relations sexuelles. Mais, dans le cas habituel, c’est tout ce qui se passe avant ou après l’acte sexuel, ou autour de lui, qui est l’objet du récit, le génital n’étant qu’évoqué. Dans Le Rouge et le Noir, Stendhal montre Julien pénétrant dans la chambre de Mme de Rênal : « Il ne répondit à ses reproches qu’en se jetant à ses pieds, en embrassant ses genoux. Comme elle lui parlait avec une extrême dureté, il fondit en larmes. Quelques heures après, quand Julien sortit de la chambre de Mme de Rênal, on eût pu dire, en style de roman, qu’il n’avait plus rien à désirer ».

Dans un roman érotique, la part du récit de la vie sexuelle augmente, la précision des données aussi : « elle le débarrassa de son pantalon et lui de sa jupe, puis elle lui retira sa chemise et lui sa blouse, jusqu’à ce qu’ils soient enfin nus face à face. Il avait la main posée sur son sexe moite… » écrit Kundera dans L’insoutenable légèreté de l’être.

Dans un récit pornographique, il n’y a plus que la génitalité qui soit narrée, le reste des détails est le plus bref possible, et les actions des personnages ne sont que sexuelles : « il retira la combinaison déjà froissée et la culotte déjà humide. Il la porta à ses narines. Léone était nue entre les deux hommes encore vêtus… Dominique n’y tint plus. Il sortit son sexe et, cambrant Léone vers lui en la tenant aux hanches, s’enfonça en elle… Son sexe devait être d’une taille respectable car elle se sentait envahie comme elle ne l’avait jamais été » (Léone, de Régine Deforges).

De tels récits d’activités érotiques ont toujours existé, dans notre civilisation depuis les conquêtes amoureuses de Zeus chez les Grecs, et les aventures des comparses du Satyricon, chez les Romains. Les amateurs doivent y retrouver nettement certains ingrédients : sinon ils quittent la salle ou ferment le livre si l’œuvre n’est pas conforme à des schémas très stricts. Il ne doit pas y avoir de drague, de scène de séduction : la proposition sexuelle doit être sans préparatifs et immédiatement acceptée ; l’essentiel de l’action doit être composé de séquences d’activités génitales explicitement racontées ou montrées.

Donc, en somme, on pourrait dire que le récit pornographique doit fonctionner comme un conte de fées, mais dans le domaine sexuel pur. Dans un conte enfantin, le héros est tout-puissant, affronte les ennemis si forts soient-ils (géants, ogres) et les soumet à sa volonté, la nature lui obéit (et les éléments, l’eau, le feu). Dans le récit pornographique, c’est le personnage masculin qui est tout-puissant : il impose son désir à toutes les femmes, et si l’une d’elles tente une résistance, c’est pour mieux s’avouer vaincue, et rapidement. L’érection est instantanée et infinie, la femme en est fascinée et la recherche. La partenaire jouit ostensiblement, ne laissant aucun doute planer sur l’intensité de son plaisir. Et l’homme peut la satisfaire, inlassablement. De plus, un conte a une fonction d’apaisement : de manière magique, il gomme toutes les difficultés de la vie réelle. Par exemple le Petit Poucet permet aux enfants d’avoir une bonne image d’eux-mêmes malgré leur faiblesse de gosses face aux adultes, ou Blanche-Neige permet aux fillettes d’être rassurées dans leurs conflits avec des parents qui ne les aiment pas (ou paraissent ne pas les aimer). De la même manière, les hommes qui ont des doutes sur leurs relations sexuelles vont pouvoir être rassurés par ces scénarios imaginaires où, enfin, cela marche bien pour eux ; où, enfin, ils sont les maîtres du jeu. Car dans la réalité il faut séduire une femme, entrer en contact, négocier, risquer le refus voire le rejet, toujours plus ou moins humiliant. Et il faut être capable de donner du plaisir à cette femme, en ayant une érection, et en tenant assez longtemps. Aura-t-elle envie de mon sexe ? Est-ce qu’elle le trouvera assez grand, assez beau ? Est-ce que je saurai lui offrir les caresses, les baisers qui pourront la combler ? D’ailleurs un homme n’est jamais sûr de la jouissance féminine puisqu’elle ne s’accompagne pas d’un signe matériel indubitable comme l’éjaculation : comment savoir si je n’ai pas été dupe d’une comédie ? Sans oublier qu’une relation humaine n’est jamais sexuelle à cent pour cent, et que d’autres éléments, le physique, le caractère, l’esprit, vont entrer en jeu : serai-je intéressant pour cette femme ?

Ce grand nombre de conditions à remplir pour que la rencontre amoureuse soit satisfaisante amène à recourir à l’imaginaire où tout marche sans problème et où un objet merveilleux facilite la tâche du héros : comme le Petit Tailleur avec sa ceinture se voit attribuer une force surhumaine et se joue des opposants, comme le Chat avec ses bottes peut s’imposer aux puissants, ainsi le héros du récit pornographique a un sexe qui lui permet de dicter sa loi.  C’est vraiment un instrument magique : une érection toujours ferme, des décharges multiples, un effet immédiat. Le héros montre son sexe, magiquement dressé, et, sans difficulté aucune, les femmes en veulent et en sont comblées. Le cinéma pourtant, avec quelques petites défaillances à l’écran, quelques ramollissements sympathiques, prouve que, dans la réalité, même pour des professionnels le mythe est hors de portée…


La critique féminine

Devant la pornographie, les femmes ont des attitudes très caractéristiques. En fait elles ne sont pas intéressées par les mêmes éléments que les hommes, quand elles sont intéressées.

Pour les gravures et les photos, il y a longtemps que l’on a remarqué leur attirance. En effet déjà à la Renaissance un libraire parisien confiait à un grand seigneur que beaucoup de dames viennent lui acheter des œuvres illustrées de l’Arétin sur les positions amoureuses, et que dernièrement l’une d’elles a acquis un exemplaire de tous les livres licencieux qui lui restaient. Les boudoirs sont d’ailleurs ornés de gravures et de tableaux représentant des scènes érotiques. Aujourd’hui des femmes parlent des revues qu’elles lisent et disent s’imaginer à la place du modèle, devant le photographe, la maquilleuse, le décorateur, tout un public auquel elles s’exhiberaient. Et elles en éprouvent une grande excitation.

            Pour les romans et les films, les confidences dans les enquêtes ou en consultation sont semblables : oui, certains récits, certaines scènes ont été excitants ; les  femmes s’en souviennent, essaient de les revivre en pensée pour raviver leur émotion. Mais ce ne sont pas les scènes de violence, de souffrance, d’avilissement, qui, elles, ont fasciné les hommes, et qui sont si nombreuses, surtout dans les livres. Quant à la jouissance des actrices, elles sont bien placées pour en rire parce qu’elles en voient bien la simulation. Aussi ce que les femmes évoquent toutes, ce sont les moments de tendresse, souvent entre deux femmes (une patiente : « dans ce film, à un moment, une femme va retrouver l’autre dans la baignoire, et elles se caressent…; ça c’était vraiment excitant ». Dans une enquête : « j’ai vu le film Emmanuelle, et les images m’ont bien plus excitée que les mots. En particulier la scène où elle se fait caresser par une fille, au tennis »). C’est-à-dire que les moments érotiques sont les moments de douceur, qui n’existent dans ces histoires qu’entre deux femmes.

            D’autres situations, parce qu’elles sont provocantes par rapport aux fantasmes, sont aussi vécues comme érotiques : voir ou imaginer une femme se caresser, ou être léchée, lécher un sexe, les personnages être à trois ou à plus encore, deux femmes ensemble, la pénétration dans des positions variées, en levrette… Mais la violence provoque des blocages très nets : Histoire d’O et toutes les humiliations racontées en détail par l’héroïne suscitent bien plus souvent le rejet que l’intérêt. Pour les films pornographiques, les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à en dénoncer le caractère ennuyeux, répétitif, avec ce trop grand nombre de pénétrations aux mouvements particulièrement monotones et mécaniques. Il semble que pour elles ces actes filmés ou racontés ne sont pas érotiques parce qu’ils sont trop uniquement axés sur le sens de la vue. Regarder met l’autre en position d’objet, le tient à distance, et cela laisse les femmes assez froides. Tandis que les autres sens, ceux qui mettent en contact les corps, les font se fondre l’un dans l’autre au point où on ne sait plus où l’on commence et où l’autre finit, dans le toucher, la caresse, le baiser, de même que les récits qui leur permettent de s’imaginer dans ces situations privilégiées, voilà ce qui émeut les femmes et suscite leurs réactions érotiques.


La fonction de la pornographie

Il a toujours existé une pornographie, c’est-à-dire une mise en scène de la sexualité. En France, les grottes de Lascaux en sont le plus ancien témoignage. Dans le monde, toutes les civilisations sont concernées, depuis la Chine et le Japon (avec les traités illustrés de postures et les fameuses estampes), jusqu’au Pérou (et ses poteries expressives), en passant par l’Inde (et les statues des temples) ou Madagascar (et les groupes de tombeaux érotiques) : chaque société a ses œuvres, à la variété infinie.

Et ceci est tout à fait normal, puisque l’être humain n’est pas seulement un être d’instinct. Il y a toujours eu des récits sur les diverses activités humaines pour les expliquer, les interpréter, leur donner un sens.

Manger est naturel : mais ce que nous mangeons, la façon de manger, les moments, les lieux, les quantités, tout est conditionné par les histoires que nous nous racontons sur la nourriture. Cela commence avec les moralistes qui répètent qu’il faut manger pour vivre et non vivre pour manger ; avec les religieux affirmant l’existence d’un autre monde où notre corps spiritualisé n’aura pas besoin de manger, et qu’il faut préparer par une ascèse dès ici-bas ; pour les parents et la société manger de telle manière est sale, vulgaire, on doit enlever ses coudes, tenir ainsi son couteau. Sans parler de la peinture avec des tableaux de nourriture et de repas. Les histoires évoquent les festins des dieux dans l’Olympe, d’Ulysse chez Nausicaa, des Hébreux dans la Bible, de Jésus à Cana. Et quel romancier, de Balzac à Zola ou Proust, n’a pas écrit son repas de noces, de fête, de réception ? Quant aux films, on y mange beaucoup. Restent encore les émissions culinaires, les livres de cuisine, les guides des bonnes tables… Lorsque nous mangeons, finalement, il est impossible d’accomplir cette action naturelle naïvement tellement nos têtes sont pleines des idées que l’on nous y a mises.

Pour la sexualité, il en est de même. Avoir une vie sexuelle est naturel ; mais c’est aussi dans la nature de l’être humain d’en produire des représentations les plus variées afin d’enrichir le plaisir qu’il en retire.

Mais peut-on écrire n’importe quoi ? A une époque où l’on réfléchit par exemple sur la responsabilité des médias dans la violence, mettre en circulation une telle masse de récits où l’on répète inlassablement que les femmes aiment être forcées, qu’elles n’attendent que ça, que leur désir profond c’est le culte du pénis des mâles autour duquel tournent toutes les anecdotes, avec les godemichets en relais, est-ce que cela peut être vraiment anodin, sans aucun effet sur les mentalités et les comportements des gens ?

Un rappel historique peut souligner la gravité du problème. Au xixe siècle, dans l’Angleterre Victorienne, les romans où la jeune fille innocente venue de la campagne se retrouve débauchée dans la grande ville sont le modèle banal du roman pornographique. Mais en même temps des milliers de jeunes filles réelles sont entraînées dans le circuit de la prostitution selon un processus semblable : est-il acceptable de prendre comme support de fantasmes érotiques ce qui est un réel drame humain ? En 1885, un directeur de Scotland Yard répond à un journaliste :  de riches amateurs à tant la tête ? - C’est exactement cela, répondit le Directeur… - Mais ces malheureuses ne hurlent pas ? - Bien entendu, elles hurlent. Mais à quoi sert de hurler derrière les murs d’une chambre fermée ?… - Mais les agents de police en service ? - Ils n’ont aucun droit d’intervenir, même s’ils entendent quelque chose… Une fois qu’une fille a franchi le seuil d’une maison, elle est impuissante et peut subir les pires sévices sans que son tortionnaire coure beaucoup de risques». Si c’est cela la réalité, n’est-il pas tout aussi criminel de publier les mêmes faits, sous le couvert d’une fiction, dans un but de jouissance ? Aujourd’hui, comme la violence sexuelle fait toujours partie de la vie de nombreuses femmes, la même retenue, par décence, s’imposerait tout autant.

Cependant le problème essentiel semble être plus profond. Avec de tels récits, on s’enferme dans une vision de la sexualité très limitée, peu respectueuse des personnes et particulièrement misogyne. S’il est vrai que les histoires de sexe sont fondamentales pour l’être humain, celles qui se racontent majoritairement actuellement ne peuvent pas l’épanouir. Il y aurait sans doute place pour d’autres récits, fondés sur d’autres représentations de la jouissance humaine. Les femmes pourraient enfin y reconnaître la richesse de leur imaginaire érotique, et les hommes se libérer de leurs peurs, gérer leurs inquiétudes, sans avilir qui que ce soit. Et le champ est infini qui reste à explorer, et pour lequel nous avons besoin d’inventeurs d’histoires, de conteurs géniaux, pour nous inventer des imaginaires nouveaux où notre sexualité pourra puiser afin de s’enrichir toujours davantage.

En fait, nous manquons de vrais pornographes !


La gestion sociale de la pornographie

La pornographie occupe une place très grande dans nos sociétés. L’homme a faim d’histoires sexuelles, et il y a là un important marché financier. D’ailleurs la masse d’argent concernée par les activités qui tournent autour du sexe (commercialisation d’objets, de livres, de revues, de films, de produits – lubrifiants, stimulants, aphrodisiaques – sans oublier le trafic de personnes – modèles, acteurs, hôtesses, danseurs, prostitués) est phénoménale et ne peut plus être gérée artisanalement : on est bien loin de ce cordonnier grec du iiie siècle av. J.-C. dont deux femmes se donnent l’adresse et qui fabriquait des godemichets en cuir d’une douceur de rêve, seul, dans sa chambre. Aujourd’hui, les groupes sont puissants et structurés.

Il serait donc utopique de vouloir supprimer tout cela alors que la société dans son ensemble est fondée sur la réussite par l’argent.

Mais faut-il intervenir et légiférer ? Les opinions sont contradictoires : les tenants de la liberté soulignent que les interdictions créent la fascination et les frustrations, dans la violence (agressions et viols). Alors que ceux qui prônent les limitations pensent qu’elles permettent de protéger les plus faibles, tandis que leur absence aboutirait à un envahissement de toute la société et à un déchaînement des pulsions. L’évolution de ces dernières années, où l’emprise des interdictions s’est relâchée, n’a pas permis de départager réellement les adversaires : si les prédictions catastrophiques ne se sont pas réalisées, et que la pornographie n’a pas tout submergé, le rôle libérateur n’est pas évident et les agressions sexuelles restent nombreuses.

Ce qui amène certains à revoir leurs exigences et à se donner comme projet d’agir au moins sur les éléments imposés à tous, dans la rue, par les médias, en laissant au libre choix de l’adulte ce qui est du domaine individuel, privé : par exemple, intervenir sur les affiches, mais laisser entrer dans un magasin et y acheter la revue que l’on veut. Il y aurait donc des images de notre environnement à censurer afin que les jeunes et les personnes fragiles ne soient pas conditionnées par elles.

Mais en quoi est-il scandaleux qu’un jeune de l’espèce humaine voie des figurations d’adultes de son espèce, nus et ayant des organes génitaux visibles aussi ? Devenir adulte, c’est bien petit à petit donner sa place à la sexualité : est-ce réalisable si toute allusion à cette sexualité est gommée ? L’échec de l’éducation sexuelle du dix-neuvième siècle devrait nous ramener à beaucoup de prudence. Un film publicitaire où un corps d’homme ou de femme nu crée un climat sensuel est positif pour l’apprentissage et l’épanouissement d’une sexualité humaine, pour que les individus se rendent compte qu’ils ne sont pas les seuls à éprouver telle ou telle émotion, que cela fait partie du lot commun humain. Voir des affiches d’hommes et de femmes en tenue très légère habitue à la représentation de son corps et du corps de l’autre, nourrit les imaginaires de réalité et non de fantasmagorie, permet d’apprivoiser son désir et ses pulsions.

Le docteur Gérard Zwang défend même l’idée d’une société où les représentations réalistes des sexes masculins et féminins rassureraient les individus (en effet, combien d’hommes et de femmes osent enfin, dans le secret de la consultation, poser des questions pour se documenter sur leur normalité physique !). Le bruit fait autour d’une campagne de publicité (où la jeune femme représentée sur l’affiche promettait d’enlever le haut puis le bas) montre le caractère surprenant et irrationnel des comportements : si sur sa dernière affiche le modèle avait été photographié de face, qu’aurions-nous vu que mille tableaux, dessins ou statues de tous nos musées, de nos jardins publics, de nos plus banals livres d’art, ne nous aurait pas figuré déjà ? Alors, comment expliquer cette hystérie ?

Il y a donc à s’interroger sur cette phobie de la société devant l’exposition du corps et de ses fonctions sexuelles, quand on sait que la sexualité humaine est totalement dépendante de l’information. On a souvent remarqué que tuer est un crime, mais qu’en tirer des histoires est tout à fait accepté (romans et films policiers, de guerre, d’horreur…) tandis que faire l’amour est strictement normal, banal, naturel, alors que l’on considère comme crime de le raconter ou de le montrer. Il y a là proprement un scandale.

Finalement, pour savoir comment agir devant la pornographie, il n’est qu’à s’en tenir aux principes qui ont cours dans les autres domaines de la vie sociale. Les responsables doivent tout mettre en œuvre pour que les comportements se conforment aux règles sur lesquelles se fonde notre société : respect de la personne, liberté individuelle. Ce qui n’est pas encore le cas général, car trop de personnes sont avilies et contraintes. Et la pornographie, dans ce cadre, jouerait son rôle épanouissant. Mais actuellement, elle ne le joue pas : même si elle montre ce qui existe techniquement, ce qui est déjà beaucoup, elle ne permet pas à chacun de situer le geste dans un projet d’avenir où la sexualité doit prendre sa place au milieu des autres préoccupations humaines sur la vie, la mort, le vieillissement, la maladie, le plaisir, la jouissance. Est-ce son but ? En tout cas, trop enfermée dans les stéréotypes, elle laisse la place à d’autres histoires, dans les romans et les films.

Et c’est dommage.

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