Histoire du couple européen occidental
L'exemple de la France
Préalables
Le couple est
- pour la société : la " cellule de base ", un élément de structuration sociale, ayant en charge la gestion d'un patrimoine et l'élevage d'enfants. La société gère le contrat…
- pour les individus : une réalité complexe et mouvante, car il y a différentes sortes de couples…
Les sources du couple occidental et les influences qui ont joué sur lui sont :
- Les pratiques réelles des différentes sociétés de civilisations différentes :
- monde du Moyen-Orient ;
- monde Grec ;
- monde Romain ;
- monde Celte et Germain.
- Les idéaux prônés par les religions : - polythéismes ;
- monothéismes.
1- Les polythéismes
Les dieux offrent des modèles pour les trois types de couples :
1- le couple fondé sur la fécondité : Déesse-Mère & Dieu-Père
2- le couple fondé sur le désir sexuel et le plaisir : Déesse-Amante & Dieu-Amant (Ishtar-Aphrodite-Vénus)
3- le couple fondé sur le mariage : Déesse-Épouse & Dieu-Époux
Exemples dans le monde grec : Gaea (la Terre)-Ouranos (le Ciel, l'Orage) : fécondité à la source de toute vie ;
Aphrodite-Arès (Vénus-Mars chez les Romains) : couple d'amants (Vénus est d'ailleurs mariée à Vulcain) ;
Héra-Zeus (Junon-Jupiter) comme époux, Junon étant la déesse invoquée par les femmes mariées.
2- Les monothéismes
- Un Dieu unique, mâle.
- Père, mais sans déesse mère.
- Aucun mythe de la sexualité.
- Un couple humain comme modèle à reproduire. (éventuellement, la sexualité du fondateur aussi : Jésus ou Mahomet).
3- La Genèse
Le premier livre de la Bible montre bien la focalisation sur la fécondité ou les époux et l'impasse sur la sexualité :
Dieu créa l'Homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa.
Dieu les bénit et leur dit : " Soyez féconds, multipliez, emplissez la Terre ". (Gen.,1,27-28)
Yahvé Dieu dit : " Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie. " Yahvé Dieu façonna une femme et l'amena à l'homme… C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. (Gen.,2,18-24)
4- La réalité : le couple patriarcal
- " La femme d'Abram, Saraï, ne lui avait pas donné d'enfant. Mais elle avait une servante égyptienne, Agar… Elle la donna pour femme à son mari. Celui-ci alla vers Agar qui devint enceinte. " (Gen., 16)
- " Abraham prit encore une femme qui s'appelait Qetura… Quant aux fils de ses concubines, il leur fit des présents… " (Gen., 25)
Soit : polygamie, concubinage légal, divorce, esclaves comme partenaires…
5- Le monde grec antique
Trois femmes pour trois rôles : gynécée, pour avoir et ualité
- L'épouse, au gynécée, pour avoir et élever les enfants, ainsi que pour gérer la domesticité ;
- L'hétaïre - ou accompagnatrice - pour sortir en ville, au spectacle, au banquet ;
- La concubine, pour la sexualité (sinon, la prostituée).
6- Le monde romain antique
- L'amitié ne peut exister qu'entre hommes. (Cicéron)
- La cohabitation fait le lien, même entre deux hommes.
- La femme est une éternelle mineure.
- Les femmes sont faites pour donner des enfants, et peuvent s'échanger dans ce but.
- On a le droit d'avoir des relations sexuelles avec l'épouse de tout subordonné, comme avec tout esclave.
- Il faut attendre le milieu du 1er s. pour voir des hommes sortir en ville avec leurs épouses…
7- Les chrétiens et le lien conjugal
- Le grand commandement porte sur l'amour de Dieu et du prochain. L'amour érotique sera bon, positif, s'il ne détourne pas de l'amour de Dieu et du prochain, mais sera négatif s'il coupe l'individu ou le couple de Dieu et des autres, s'il est un obstacle à la prière et à la charité.
- Dans le couple conjugal, l'amour sexué devra donc se fondre dans l'amour de charité.
- De plus, l'archétype de l'amour conjugal devient celui du Christ pour son Église : quelle place est-il laissé à la sexualité ?
8- Le monde germanique
- Les femmes occupent une plus grande place auprès des guerriers et dans les conseils.
- Souvent les femmes gèrent leurs biens propres, les veuves sont chefs de famille, les femmes majeures (20 ou 25 ans) sont libres de leurs choix conjugaux.
- À côté du mariage de plein droit existe un concubinage amoureux : on commence par vivre avec une femme que l'on désire ; quand l'occasion d'un bon mariage se présente, on se marie. On garde en général la concubine à côté de l'épouse (pratiques déjà présentes en Grèce, dans l'empire romain (cas personnel de saint Augustin), persistant aujourd'hui, chez les princes comme Charles d'Angleterre, ou chez les jeunes qui forment des couples dès la fin de l'adolescence, ou pendant leurs études, couples qu'ils rompent quand le beau parti se présente).
- L'âge de 7 ans pour la nubilité est très théorique…
9- Le XIIè siècle
- Les troubadours : la femme que l'on désire peut être aussi une amie, avec qui l'on rivalise de qualités, mais ce n'est jamais l'épouse avec qui existent des obligations. Pour la première fois, une société accepte de jouer avec l'idée qu'une femme peut être digne de l'amitié d'un homme…
- Les romanciers : alors que dans les premières épopées (Chanson de Roland, 1100) les hommes sont seuls entre eux, les romanciers vont postuler qu'on ne peut devenir un héros sans l'amour d'une femme, et que réussir sa vie c'est surmonter des épreuves et fonder un couple amoureux. On épouse une personne que l'on aime et qui vous aime, amour testé par des épreuves qui créent un couple d'amis et de compagnons d'aventures. Ce qui est parfaitement irréaliste…
- La réalité : les suzerains et chefs de famille décident les mariages pour les hommes comme pour les femmes.
- Un chef prouve sa virilité, et son droit à commander, par ses aventures sexuelles…
10- Montaigne (XVIè s.) : la distinction entre les types de couples est une évidence
- " Un bon mariage, s'il en existe, refuse la compagnie et les conditions de l'amour pour celles de l'amitié. C'est une douce société de vie, pleine de confiance et d'un nombre infini d'utiles et solides devoirs et obligations mutuelles. Aucune femme qui en savoure le goût ne voudrait tenir lieu de maîtresse et d'amie à son mari : si elle est logée en son affection comme femme, elle y est bien plus honorablement et sûrement logée. "
- " Peu de gens ont épousé des amies qui ne s'en soient repentis. " (Essais, III, V)
- Aucune société, jusqu'au XXè s., ne veut fonder le mariage, élément essentiel de sa structure, sur une base aussi peu solide et constante que l'affectivité (l'amour ou le désir).
11- Évolutions
- Les interdits jusqu'au 7è degré ménagent la possibilité d'annuler les mariages. C'est un jeu de pouvoir entre les puissants (qui veulent pouvoir rompre à tout moment un mariage, si un autre plus profitable économiquement ou politiquement se présente) et l'Église, qui défend l'idée d'un lien unique et perpétuel : accepter les interdits permet à celle-ci de ne pas perdre la face à chaque fois qu'elle est contrainte de cautionner une rupture…
- Le concile de Trente, en 1563, décrète que, pour être valide, un mariage doit se dérouler en présence du curé et de témoins. Donc, jusqu'alors, tout couple cohabitant est, de fait, considéré par le village ou le quartier comme mari et femme…
- En 1791, institution du mariage civil.
12- Exemples pris dans la vie de cour sous Louis XIV
- Geneviève de Frémont, mariée à 18 ans à un homme de 46 ans à qui elle apportait les ressources nécessaires pour tenir son rang de maréchal et fonder une maison, sera " une épouse qui n'eut des yeux que pour lui malgré la différence d'âge, qui sentit toujours avec un extrême respect l'honneur que lui faisaient la naissance et la vertu de son époux, et qui y répondit par … le plus tendre attachement ". Elle apporte l'argent, lui, le titre, et tous deux sont ravis de la tournure des événements…
- Marie-Louise de Savoie, mariée au roi d'Espagne, refuse de coucher avec lui au soir de leurs noces. Après deux jours de tractations, elle cède, trouve le roi à son gré, et " la troisième nuit fut encore plus agréable aux époux ". Ils ne se sont pas choisis, mais se trouvent à leur goût…
- Ce seigneur " vivait très bien avec sa femme, mais ne voulait pas tomber dans le mépris du bel-air en n'ayant d'yeux que pour elle ". Un homme de son rang se doit d'avoir des maîtresses, quels que soient ses sentiments envers son épouse…
13- Un cas au plus haut rang de la société
- Madame de Maintenon, qui épousera Louis XIV, accepte des compromis avec les aventures passagères ou durables de son mari.
- Elle doit se faire rappeler à l'ordre par son confesseur : " vous devez accomplir par vertu ce que d'autres femmes font sans mérite parce que par passion " !!! La frigidité ne doit pas être un obstacle au devoir conjugal…
- Aux demoiselles de Saint-Cyr : " je crois que le mariage est l'état où l'on éprouve le plus de tribulations, même dans les meilleurs… Vous n'y trouverez pas de quoi rire… "
- D'ailleurs " vous devriez toutes désirer épouser plutôt des vieillards… "
- Elle-même, à la fin de sa vie : " je meurs de tristesse, dans une fortune qu'on aurait eu peine à imaginer… Le mariage est un état qui fait le malheur des trois quarts du genre humain… "
Si même la femme du roi pense cela du mariage…
14- L'ambiguïté du XIXè s. : les adversaires de la sexualité conjugale
" Je considère cette femme comme le modèle le plus parfait de la femme d'intérieur et de la mère anglaise, pleine d'attentions délicates, prête à tout sacrifice raisonnable et tellement pure de cœur que tout désir sexuel lui était inconnu et qu'elle éprouvait plutôt une répulsion à cet égard, mais elle était si dévouée à son mari bien-aimé qu'elle était toute disposée à lui sacrifier ses sentiments et ses désirs. " (Acton, 1850)
" Les femmes élevées dans les établissements confessionnels arrivaient au mariage l'esprit encombré de principes réactionnaires : toutes ces théories rendaient impossible l'établissement de liens d'amitié avec leurs maris.
C'était donc en compagnie d'une maîtresse ou au café que le mari chantait ou riait. "
Une Vie (Maupassant), Madame Bovary (Flaubert), Le Lys dans la vallée (Balzac), Pot-Bouille (Zola), etc. explorent chacun à sa façon les difficultés de l'institution.
15- L'ambiguïté du XIXè s. : les partisans de la sexualité conjugale
Ils sont bien plus nombreux que les adversaires, mais ont été occultés par le XXè s. qui se cherchait un bouc émissaire.
- Gustave Droz, Monsieur, madame et bébé, 1866, 121 rééditions. Il faut mener une grande bataille afin que les femmes surmontent les inhibitions que leur a imposées leur éducation et qui les a rendues si collet-monté. L'idéal : des époux qui seraient aussi des amants.
- A. Debay, Hygiène et physiologie du mariage, 1848, 173 éditions. Les maris doivent satisfaire leurs femmes car celles-ci ont une faculté de jouissance égale ou supérieure.
- " L'adultère provient de ce que les maris ne satisfont par leurs femmes. Or celles-ci ont droit à l'orgasme. "
16- Le XXè s. : le triomphe de l'amour
Les autres motivations du mariage s'affaiblissant, on peut attendre de trouver l'amour pour se marier :
- L'argent : il dépend moins de l'héritage que de la valeur individuelle concrétisée par le métier et les liens sociaux créés. La chasse à l'héritier ou à l'héritière se perd peu à peu…
- Échapper à l'union libre et au célibat : la valorisation de ces états en fait des alternatives réelles. On peut faire un couple amoureux sans se marier, on peut vivre en concubinage afin d'avoir une vie sexuelle en attendant de tomber sur une occasion de mariage, et on peut aussi rester célibataire sans disgrâce sociale tant que l'on n'a pas trouvé l'amour pour se marier.
Les circonstances favorables se multiplient :
- La généralisation de l'appartement personnel rend possible l'intimité conjugale ;
- La reprise de la diffusion de la contraception, et la plus grande facilité d'utilisation des méthodes efficaces, libèrent le couple et les femmes de la procréation involontaire.
Vivre sa sexualité dans le couple devient matériellement aisé, donc choisir comme conjoint quelqu'un que l'on aime et que l'on désire n'est plus absurde.
17- Le couple aujourd'hui
- Le premier défi est de vouloir tout à la fois : les époux se veulent associés, compagnons, parents, amis, amoureux, amants. Les couples d'aujourd'hui ont la possibilité matérielle, économique, et sociale de tenter de vivre dans le réel les histoires imaginaires racontées depuis les romanciers courtois.
Mais pour certain(e)s, c'est toujours contradictoire : je ne peux pas demander cela à la mère de mes enfants, il y a des femmes pour ça ! ou : vous vous rendez compte, il me demande ça à moi, la mère de ses enfants, il ne me respecte pas ! (il s'agissait, selon le cas, d'une position, de porter des dessous différents, d'une fellation… toutes choses complètement banales pour bien des couples)
- Le second défi est celui du temps : la mort laisse aujourd'hui 50 ans de vie commune envisageables (alors qu'elle interrompait le couple de 1900 au bout de neuf ans en moyenne).
- durée et amour ?
- durée et sexualité ?
Comment désirer sexuellement celui (celle) avec qui l'on gère au quotidien tous les problèmes de la maisonnée, et que l'on côtoie intimement depuis des années ? (à rapprocher d'une remarque d'un confrère : " les problèmes sexuels de la ménopause s'évanouissent quand la femme prend un compagnon de dix ans de moins… ")
Il faut inventer les moyens inédits de réussir le couple inédit d'aujourd'hui.
Pour conclure...
Donc le couple contemporain est " atypique " par rapport aux couples des siècles précédents : au lieu de se contenter de faire " bon ménage " avec son conjoint, il veut aussi épanouir sa sexualité en couple. Ce qu'autrefois on demandait aux prostituées des bordels, aux amants et aux maîtresses (voire aux serviteurs, éventuellement aux esclaves), c'est en couple que l'on tentera de le vivre. La polygamie de fait d'autrefois subsiste, ou est remplacée par la formation de couples successifs (théorie des quatre couples dans une vie aujourd'hui).
Quant aux couples " légendaires ", Roméo et Juliette, Tristan et Yseut, ils sont totalement " atypiques " puisque le premier concerne des adolescents, qui meurent très vite, caractéristiques contraires à celles du couple contemporain. Le second, vivant en cachette ou en marginal, séparé plus souvent que réuni, détruit par la mort sans avoir rien construit, ne correspond pas non plus aux projets des couples actuels.
Faut-il alors chercher le couple " atypique " dans l'idée que se font aujourd'hui les gens ? Une émission de télévision (Delarue, 7 novembre 2006) montre comme couples " atypiques " des couples qui jouent avec " l'interdit " :
- un prêtre défroqué et sa femme ;
On repense alors à Rémy de Gourmont qui, dans L'Amour et l'Occident, disait que, pour vivre, les passions amoureuses devaient se réinventer constamment des interdits. Il citait après l'adultère (Tristan et Yseut, Madame Bovary), la pédophilie (Nabokov, Lolita). Nos contemporains chercheraient donc à se confronter à l'inceste (belle-sœur, cousine), à la loi (prostituée, sans papiers, détenu), à la religion (prêtre), à l'opinion publique (grande différence d'âge) afin de créer des couples " passionnants ".
En tout cas, ce n'est pas selon les schémas que l'on attendait (couple bigame, polygame…) que nos contemporains vivent le couple " atypique " d'aujourd'hui.
Sexodoc
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