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Octobre 2008


La Sexualité, n° 6 de Comprendre, revue annuelle de philosophie et de sciences sociales, sous la direction de Ruwen OGIEN et Jean-Cassien BILLIER, 2005, P.U.F., 24 €.


« Comment se fait-il qu'une activité humaine, tolérée ou recommandée lorsqu'elle est pratiquée, cesse de l'être lorsqu'elle est représentée ?

Comment se fait-il qu'une activité humaine, tolérée ou recommandée lorsqu'elle est gratuite, cesse de l'être lorsqu'elle est rémunérée ?

Comment se fait-il que des activités humaines qui ne causent aucun préjudice à des tiers puissent susciter des réactions de désapprobation sociale aussi profondes, même lorsqu'elles sont pratiquées en privé par des personnes consentantes ?

Bref, qu'y a-t-il de si particulier dans un certain genre d'activités humaines pour qu'elle fasse l'objet d'un contrôle social et légal aussi constant dans l'histoire et aussi massivement approuvé, alors que les torts qu'elle est susceptible de causer à soi-même ou à autrui sont, pour la plupart, inexistants ou mal établis ?

Telles sont, en gros, les questions que pose la sexualité du point de vue de la philosophie politique et morale, ou des sciences humaines et sociales en général. »


Ces questions, placées au début du recueil d'articles proposés par la revue Comprendre dans ce numéro sur la sexualité, soulignent d'emblée l'étrangeté de notre façon de considérer la sexualité dans notre société, étrangeté très ancienne, mais qui perdure sous d'autres formes aujourd'hui. Les auteurs regroupés nous offrent alors un inventaire des transformations de notre rapport à la sexualité au début du XXIe siècle.

Ces transformations suscitent des critiques qui sont présentées et discutées, avec comme ligne de conduite la vigilance envers toute menace pour les libertés publiques.

La première transformation concerne le droit pénal, avec l'apparition d'une catégorie nouvelle d'infractions appelées « sexuelles » qui devient la première cause de condamnation des détenus actuels. Elle génère un traitement de la sexualité dérogatoire au droit commun (cf. les règles appliquées aux présumés délinquants sexuels) et des risques certains pour l'État de droit démocratique. D'autant que la définition juridique du « sexuel » est très floue, aussi floue que la définition commune, entraînant un doute sur la pertinence de la catégorisation de certaines formes de sexualité comme « non normales », et amenant même à se demander s'il ne faudrait pas se débarrasser de la notion de « perversions sexuelles ». Ce qui va aussi jusqu'à interroger la normalité de l'hétérosexualité : elle contribuerait à maintenir les femmes dans une position subordonnée, et ne serait donc pas un comportement neutre.

Une autre transformation concerne les « justifications des régimes de contrôle des pratiques baptisées ‘sexuelles’ ». Elles ont longtemps été religieuses, se référant aux valeurs de chasteté, fidélité, amour, charité, vie, etc. Au XIXe siècle, ces justifications deviennent plutôt morales, corrélées aux valeurs de travail, discipline, autorité, tempérance, famille, patrie, etc. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, les justifications se détournent des valeurs abstraites, pour se fonder sur les « préjudices concrets, psychologiques ou physiques, causés à des personnes particulières ou à des groupes de personnes particuliers (enfants, femmes, croyants, etc.) ».

Ces normes sont aussi de moins en moins justifiées par un ordre transcendant mais sont de plus en plus négociées « par le plus grand nombre selon les procédures et délibérations ordinaires dans les sociétés démocratiques », le fondement moral en étant la règle du consentement (« entre adultes consentants ») et la neutralité éthique de l'État.

Mais au début du XXIe siècle certains groupes de pressions contestent systématiquement cette évolution en voulant restaurer des valeurs transcendantes, ou en lui opposant la dignité humaine ou l'ordre symbolique : l'État aurait l’obligation, en leur nom, de nier le droit des personnes à disposer le plus librement possible de leur vie et de leur corps, parce que l'État saurait mieux qu'elles ce qui est mal pour elles (pour leur dignité) ou pour le groupe (toucher à ce qui serait des normes culturelles universelles provoquerait l'effondrement des sociétés).

Je tiens particulièrement à souligner ce passage, pour ces implications dans des décisions concrètes importantes pour notre vie sociale, à prendre très bientôt : les discussions actuelles sur l'homoparentalité amènent la répétition de l'argument que l'éducation d'un enfant par un couple hétérosexuel est absolument nécessaire à sa maturation normale, or " personne n'a jamais réussi à démontrer qu'il existait un ordre normatif familial d'un certain type (disons " hétérosexuel "), à défaut duquel les sociétés humaines s'effondreraient inévitablement. C'est une hypothèse catastrophiste qui n'a pas de soutien épistémologique et empirique... " Il ne suffit pas de le répéter à tout bout de champ pour qu'un argument devienne valide...

Tous ces questionnements explicitent la richesse et l'importance de la sexualité à l'aube de ce XXIe siècle qui non seulement intègre le bien-être sexuel dans des programmes nationaux et internationaux de santé publique, mais fait des « droits sexuels » (droits à une vie sexuelle épanouie soutenue par des institutions) un objectif prôné par l'OMS.


Un ouvrage extrêmement important pour repérer les questions essentielles et réfléchir sérieusement à la sexualité aujourd’hui.




  

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Décembre 2008


DESPENTES Virginie, King Kong théorie, Grasset, 2006.


Constatant qu’elle est « ce genre de femme qu’on n’épouse pas, avec qui on ne fait pas d’enfant, … », Virginie Despentes veut parler en son nom propre et au nom de toutes celles, comme de tous ceux, qui ne sont pas dans les normes de la féminité ou de la virilité, et que notre société traite durement : « J’écris de chez les moches, pour les moches, les frigides, les mal baisées… aussi bien que pour les hommes … qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés ».

Et elle passe en revue les raisonnements que la société a construits pour parler de la lutte des femmes, du viol, de la prostitution, de la pornographie et leurs effets sur la condition des femmes comme sur celle des hommes.


La révolution féministe a bien eu lieu dans les années 70, amenant un certain nombre de changements positifs. Mais « les femmes autour de moi gagnent effectivement moins d’argent que les hommes, occupent des postes subalternes, trouvent normal d’être sous-considérées quand elles entreprennent quelque chose… Toujours fliquées, par les hommes qui continuent de se mêler de nos affaires et d’indiquer ce qui est bon ou mal pour nous, mais surtout par les autres femmes, via la famille, les journaux féminins, et le discours courant… » (p.20) « Il faut, de toutes façons, que les femmes se sentent en échec. Quoi qu’elles entreprennent, on doit pouvoir démontrer qu’elles s’y sont mal prises. » (p.24). Cependant les hommes feraient bien de réfléchir au fait que « la virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l’assignement à la féminité » : une liste d’une page de ces mutilations appuie l’affirmation (p.30).


Pour le viol, Virginie Despentes analyse la psychologie de ces hommes qui « condamnent le viol » parce qu’ils s’arrangent avec leur conscience au point d’être convaincus que « ce qu’ils pratiquent, eux, c’est toujours autre chose » ! (p.39) D’autre part, quand une femme est victime d’un viol, « tout l’appareil de surveillance des femmes » se met en branle afin qu’elle « garde ça pour elle ». Il faut « être traumatisée d’un viol, il y a une série de marques visibles qu’il faut respecter : peur des hommes, de la nuit, de l’autonomie, dégoût du sexe et autres joyeusetés… » (p.42) Aucune littérature sur ce trauma, aucune information, pas « de consignes de survie, de conseils pratiques simples (pour les jeunes filles). Rien » (p.43) Virginie Despentes, qui a été violée, avait continué à vivre en occultant l’événement, mais en estimant avoir « autre chose à foutre dans la vie que laisser trois ploucs me traumatiser ». Quatre ans après, un texte de Camille Paglia lui ouvre les yeux : « Pour la première fois, quelqu’un valorisait la faculté de s’en remettre, plutôt que de s’étendre complaisamment sur le florilège des traumas. Dévalorisation du viol, de sa portée, de sa résonance…Elle proposait de penser le viol comme un risque à prendre, inhérent à notre condition de filles. Une liberté inouïe de dédramatisation. Oui, on avait été dehors, un espace qui n’était pas pour nous. Oui, on avait vécu au lieu de mourir… On était sorties dans la rue parce que, chez papa-maman, il ne se passait pas grand-chose. On avait pris le risque, on avait payé le prix, et plutôt qu’avoir honte d’être vivantes on pouvait décider de se relever et de s’en remettre le mieux possible… Ce que j’ai vécu, à cette époque, à cet âge-là, était irremplaçable, autrement plus intense que d’aller m’enfermer à l’école apprendre la docilité, ou de rester chez moi à regarder des magazines. C’était les meilleures années de ma vie, les plus riches et tonitruantes, et toutes les saloperies qui sont venues avec, j’ai trouvé les ressources pour les vivre. » (p.45-47) (Ceux qui parlaient ainsi dans les années 80 – on était quelques-uns à dire alors que l’on pouvait se remettre d’un viol, et à fonder sur cette conviction notre aide à nos patients – se souviennent de s’être heurtés à des féministes violentes, qui voulaient les faire taire par tous les moyens).

Sans compter, ajoute Virginie Despentes, que la société n’apprend pas aux filles la violence contre les hommes qui les forcent (« le jour où les hommes auront peur de se faire lacérer la bite à coups de cutter quand ils serrent une fille de force… ») de même qu’elle ne les aide pas à se protéger : « c’est étonnant qu’en 2006, alors que tant de monde se promène avec de minuscules ordinateurs cellulaires en poche, appareils photo, téléphones, répertoires, musique, il n’existe pas le moindre objet qu’on puisse se glisser dans la chatte quand on sort faire un tour dehors, et qui déchiquetterait la queue du premier connard qui s’y glisse » (p.52).

Finalement, tout pousse la femme à se culpabiliser, à se sentir responsable de son viol. Et, en mettant l’accent sur le côté sexuel de l’agression, tout occulte le vrai traumatisme subi, ce qui a vraiment terrorisé à ce moment-là : pas du tout la pénétration, mais « l’idée qu’ils veulent me tuer », la peur de la mort, « la possibilité de la mort, la proximité de la mort, la soumission à la haine déshumanisée des autres ». C’est cela que Virginie Despentes ne peut oublier, « qui rend cette nuit indélébile » : d’avoir été persuadée de mourir bientôt, « de ne plus rien être, déjà plus rien ». Et cette peur a marqué sa personnalité : « c’est en même temps ce qui me défigure et ce qui me constitue » (p.57).


La prostitution

Sur ce sujet, la réflexion de Virginie Despentes est tout aussi dérangeante.

Elle constate d’abord que « les types de travaux que les femmes non-nanties exercent, les salaires misérables pour lesquels elles vendent leur temps n’intéressent personne. C’est leur lot de femmes nées pauvres, on s’y habitue sans problème », alors que, si c’est du sexe qu’elles vendent, tout le monde a son mot à dire, notamment ces « dames qui ont toujours été entretenues via le contrat marital, souvent des femmes divorcées qui avaient obtenu des pensions dignes de ce nom ». Or le contrat marital est clairement « un marché où la femme s’engage à effectuer un certain nombre de corvées assurant le confort de l’homme à des tarifs défiant tout concurrence. Notamment les tâches sexuelles ». Et l’auteur fait part de son expérience de prostituée où « les clients étaient plutôt affables avec moi, attentifs, tendres. Beaucoup plus que dans la vraie vie, en fait… Les clients étaient lourds d’humanité, de fragilité, de détresse ». Pourquoi, dans ces conditions, le langage social sur la prostitution veut-il victimiser les prostituées, les imaginer salies, contraintes, sinon parce que la société « a peur qu’elles viennent dire que ça n’est pas si terrifiant comme boulot. Et pas seulement parce que tout travail est dégradant, difficile, exigeant. Mais aussi parce que beaucoup d’hommes ne sont jamais aussi aimables que quand ils sont avec une pute ».

Et c’est ce temps de prostitution qui a servi à Virginie Despentes pour se reconstruire après le viol : « ce que je pouvais vendre, à chaque client, je l’avais donc gardé intact. Si je le vendais dix fois de suite, c’est que ça ne se brisait pas à l’usage. Ce sexe n’appartenait qu’à moi, ne perdait pas en valeur au fur et à mesure qu’il servait, et il pouvait être rentable ».

Sans nier que le proxénétisme, le trafic de femmes, certaines conditions d’exercice, sont des maux, l’auteur soulève le problème de l’identité profonde des différents comportements féminins devant les hommes qui ont du pouvoir et de l’argent, ce que les femmes font alors de leur corps : « Beaucoup de femmes que le sexe n’intéresse pas mais qui savent en tirer profit. Qui couchent avec des hommes vieux, laids, chiants, déprimants de connerie, mais puissants socialement. Qui les épousent et se battent pour obtenir le maximum d’argent au moment du divorce. Qui trouvent normal d’être entretenues… Ça me semble aussi glauque pour elles, qui renoncent à toute indépendance… que pour ces mecs dont la sexualité n’est admise que s’ils ont les moyens de raquer ».

Quant aux hommes, tout est fait par la société pour compliquer leur soulagement, pour les culpabiliser de leur désir. Or la « sexualité masculine en elle-même ne constitue pas une violence sur les femmes, si elles sont consentantes et bien rémunérées. C’est le contrôle exercé sur nous qui est violent, cette faculté de décider à notre place ce qui est digne et ce qui ne l’est pas ».

Tout cela pour « nous faire oublier que c’est le mariage qui est une violence faite aux femmes, et d’une manière générale, les choses telles que nous les endurons ». (p.61-92)


La pornographie

Virginie Despentes passe en revue différents arguments utilisés pour critiquer la pornographie : le film porno pousse au crime (comme si les viols n’apparaissaient qu’avec eux), donne une image mensongère de la sexualité, déforme la réalité (comme si ce n’était pas le rôle du cinéma en général). Donc, de faux prétextes pour justifier les nombreux interdits et la multiplication des interventions de la censure, alors que des faits bien plus graves sont ignorés, la banalité de la représentation de femmes dans des situations humiliantes à la télé, l’absence de contrôle des conditions de travail, des contrats et du respect des droits des actrices, etc. Comme si on voulait entraver la sexualité des gens, considérés comme si débiles qu’il faut choisir à leur place ce qu’ils peuvent regarder. Et occulter que le porno est un défoulement psychique, un anxiolytique, qu’il révèle crûment que « le désir sexuel est une mécanique, guère compliquée à mettre en branle ». Ce qui suscite l’opposition fanatique de tous ceux qui ne veulent pas le savoir, pas savoir non plus ce qui les excite, afin de sauvegarder une « bonne » image sociale d’eux-mêmes, au risque de ne pas connaître leur personnalité car « si on ne sait pas ça de soi, qu’est-ce qu’on connaît de soi, au juste ? »


Conclusion

Les injonctions à la virilité aussi mutilatrices que les injonctions à la féminité.

Le viol comme un risque à courir pour conquérir sa liberté.

La prostitution comme comportement féminin plus sain que beaucoup d’autres.

La pornographie pour se connaître vraiment.

Si on veut continuer dans son petit confort de pensée, surtout ne pas ouvrir ce livre.

Mais si on est à la recherche du moindre moyen de vivre un peu moins idiot, vite, se plonger dans cet ouvrage, recevoir quelques bonnes claques, en être réveillé et stimulé, sorti de sa torpeur pour recommencer à penser.

  

Novembre 2008


CYRULNIK Boris, Mémoire de singe et paroles d’homme, Hachette-Pluriel, 1983.



La sexualité humaine est tellement diverse que chacun de nous est nécessairement amené à se confronter à des goûts différents dans la moindre rencontre amoureuse. À plus forte raison, qui choisit d’être thérapeute, d’aider d’autres personnes à vivre mieux leur sexualité, se retrouvera face à des façons de faire et de penser, des choix de vie, qui peuvent être très loin des siens, voire totalement en contradiction.


Tout le monde doit donc apprendre à avoir l’esprit ouvert, prêt à accueillir la différence, à se mettre à la place de l’autre. Pour cela, comprendre comment personnellement chacun a construit ses propres opinions et ses choix est indispensable pour prendre du recul par rapport à tout ce qui nous semble « évident ». C’est aussi la première étape dans une démarche de reconnaissance des opinions et des choix d’autrui.


Boris Cyrulnik, dans un livre lumineux, nous fournit les moyens d’une telle ouverture d’esprit. Son expérience de psychiatre et d’ethnologue lui permet de s’appuyer sur une multitude d’anecdotes et d’exemples pour décrire en action la construction personnelle et sociale de l’individu. Petit à petit, sans avoir l’air d’y toucher, l’auteur bouscule nos évidences, ébranle nos idées reçues que nous pensions les mieux établies, en en démontant les mécanismes sous nos yeux, avec simplicité et clarté. Au fur et à mesure de notre lecture, nous nous comprenons mieux, et cette compréhension nous libère : au lieu de continuer à réagir mécaniquement par obéissance aveugle à notre conditionnement, nous découvrons la possibilité de réfléchir à notre action, de prendre en mains la direction de notre vie, d’assumer plus consciemment nos choix. Et l’autre n’est plus cet ennemi inquiétant, cet agresseur dont il faut se méfier, cet individu aux idées et aux comportements bizarres qui font douter de ses facultés, mais ce frère en humanité, soumis aux mêmes conditionnements biologiques et sociaux dont la présence et le fonctionnement nous sont expliqués, qui s’en est sorti comme il a pu, de même que nous, nous nous sommes sortis tant bien que mal des épreuves que la vie a placées sur notre chemin.


Par la suite, Boris Cyrulnik a poursuivi et approfondi nombre de points abordés dans cet ouvrage : Sous le Signe du lien, pour la dépendance biologique, le rôle de la maternité et de la paternité, les enjeux du couple. La Naissance du sens, pour les questions de la psychologie de l’enfant, son apprentissage du monde, le rapport de l’inné et de l’acquis, et pour le rôle de la parole. Les Nourritures affectives, pour les problèmes de la rencontre, de la construction de la vie psychique, de l’appartenance à un groupe, de cet attachement particulier qu’est l’inceste. L’Ensorcellement du monde, pour comprendre « notre place dans le vivant, comment nous en procédons et comment nous en émergeons », en abordant la coexistence et les jeux d’interactions avec les autres, l’alimentation et ses troubles, la peur et l’angoisse, le leurre et la drogue, la comédie et le mensonge, la mort. Un Merveilleux Malheur, pour la question de la résilience, cette capacité que présentent certains à retrouver l’équilibre après une épreuve, même très destructrice.



Mémoire de singe et paroles d’homme, un des très rares livres que l’on peut rencontrer au cours d’une vie et après lequel on est changé, on se sent meilleur, plus humain, parce que l’on a enrichi sa perception du monde, que l’on voit les autres d’une tout autre façon, et que l’on se comprend soi-même infiniment mieux.

Janvier 2009


Martin Winckler, Contraceptions, mode d’emploi ; ce qu’on ne vous avait jamais dit, Éditions Au diable vauvert, 2001, (14,48).


            Un ouvrage accessible et complet, destiné au grand public comme au médecin, écrit par un praticien qui s’appuie sur son expérience personnelle et a réfléchi sur la place de la contraception dans la sexualité humaine.

Toutes les questions qui peuvent venir à l’esprit à propos de contraception sont abordées. Les idées reçues sont rappelées ; les problèmes psychologiques ne sont pas oubliés à côté des renseignements les plus techniques ; les inconvénients de chaque méthode, comme leurs avantages, sont évoqués ; les multiples problèmes quotidiens (comme les oublis…) les situations particulières, les cas individuels reçoivent des explications et des propositions de solutions.

Pour les femmes, de quoi s’éviter bien des angoisses, voire bien des souffrances.

Pour les hommes, un manuel afin de ne pas rester totalement étranger à cette composante inévitable de leur vie sexuelle.

Pour les médecins, un vademecum pour conseiller humainement et efficacement leurs patients.

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Février 2009


Sarah Blaffer Hrdy, La femme qui n’évoluait jamais, Petite Bibliothèque Payot, 2002 (1981).


« Qu’est-ce que l’orgasme chez la guenon peut nous apprendre de la sexualité féminine ?

Comment expliquer l’appétit sexuel de la femme, qui peut pratiquement faire l’amour à n’importe quel moment du mois et de l’année ?

La compétition sexuelle est-elle l’apanage des mâles ?

Pourquoi les femelles des primates sont-elles si souvent considérées comme inférieures aux mâles ?

Est-il exact que la domination de ces derniers soit « naturelle » ?

Et faut-il admettre que les femelles des primates, à cause des exigences de la maternité, sont « normalement » destinées à une vie sexuelle moins exubérante que celle de leurs compagnons ?

Sarah Blaffer Hrdy, membre de l’Académie des sciences américaine, est professeur émérite d’anthropologie à l’université de Californie-Davis, primatologue et sociobiologiste. » (Quatrième de couverture)


Dans cet ouvrage, madame Hrdy étudie l’origine, chez les primates femelles, de la sexualité féminine, ce qui lui permet de dissiper un grand nombre de nos idées reçues sur celle-ci. Au-delà des anecdotes passionnantes sur le comportement des primates, elle nous permet de rejeter les explications qui attribuent à des causes humaines des phénomènes existant chez les primates. Avec une meilleure compréhension de la situation humaine, elle nous donne les moyens d’une action plus efficace, personnellement ou comme thérapeute.

Un beau livre, une pensée originale qui bouscule les certitudes confortables, des horizons qui s’ouvrent largement, de l’air frais qui réconforte.

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Mars 2009


Stephen Vizinczey, Éloge des femmes mûres, Anatolia, Éditions du Rocher, 2001 (1965) (19,06), et poche.


            À travers l’initiation amoureuse d’un jeune homme, l’auteur nous amène à réfléchir sur les relations entre les sexes. Les jeunes hommes ne seraient-ils pas conduits par les adolescentes elles-mêmes à les haïr et à vouloir s’en venger ? La façon dont elles peuvent se moquer de leur désir, leur incompréhension de la physiologie masculine, leur méconnaissance de leur propre sexualité, les font agir trop souvent de manière très blessante et humiliante pour l’homme. Le bonheur serait alors, pour celui qui débute sa vie amoureuse, dans la rencontre des « femmes mûres », plus à même d’offrir tendresse et douceur, dans une relation apaisée.

Livre important pour apprendre aux jeunes femmes à ne pas voir dans tout garçon un violeur potentiel, ou une marionnette à manipuler ; aux femmes mûres, à oublier l’âge des caprices et à utiliser « le savoir et la sensibilité » que la vie leur a apportés ; aux hommes, à se rappeler qu’aspirer à humilier les femmes et à leur imposer leur loi aboutira seulement à ce qu’elles leur rendent la monnaie de leur pièce.

Après tout, pourquoi ne pas faire sienne la règle de vie du héros : « je n’ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies » ?


Un très beau roman, que l’on peut utiliser comme manuel de sexologie.

Avril 2009


Martin Winckler, La Vacation, POL, 1989, et édition de poche, J'ai Lu.


L’auteur a travaillé dans un centre hospitalier d’IVG, et ce roman est le fruit de son expérience. Au-delà de tous les clichés ressassés par les partisans comme par les adversaires de l’interruption de grossesse, il nous fait vivre ce que ressent jour après jour le médecin confronté aussi bien à la souffrance et au désarroi qu’à l’inconscience et à la négligence.

Mais adresser d’éventuels reproches aux individus, n’est-ce pas occulter le rôle de la société et de tous ses représentants ? Ne sommes-nous pas tous concernés, médecins ou non, femmes ou hommes, militants d’associations de défense de telle cause ou de telle autre, représentants politiques et religieux de l’un ou l’autre bord ? Quelles sont les conséquences de nos actions, de nos ignorances, de nos prises de position ? Si la crainte de voir l’IVG se banaliser et se multiplier en devenant un moyen courant de contraception ne s’est pas concrétisée, l’inverse, la conviction que la diffusion des connaissances sur la maîtrise de la reproduction allait faire disparaître progressivement ce recours ultime, ne s’est pas plus trouvé conforté par les faits. Le scandale subsiste d’un nombre d’IVG toujours constant depuis 30 ans.

Ce bref roman, intense, d’une très grande richesse d’humanité, permet à chacun de se confronter à ce qui reste un point essentiel de notre condition d'Hommes, le droit de faire naître ou non un nouvel être humain.

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Mai 2009

Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, 1994                                                 (J’ai lu, 1997).

Un des drames les plus poignants que vivent les patients d’un sexologue est l’absence totale de partenaire dans leur vie sexuelle : « jamais une femme ne m’a dit : je t’aime », « jamais un homme ne m’a caressée », « elles repoussent toujours mes avances », « elles se moquent de moi parce que je n’ai jamais fait l’amour », « ils sont gentils avec moi, mais ils ont toujours de bonnes raisons pour refuser d’aller plus loin »…



Michel Houellebecq affronte la question, dans un livre saisissant sur les personnes marginalisées dans les échanges sexuels, Extension du domaine de la lutte. Derrière le vocabulaire volontiers provocateur, l’auteur prête à son héros une vraie sensibilité aux souffrances secrètes des gens.

Deux personnages féminins et deux personnages masculins incarnent pour l’essentiel ces laissés pour compte de la sexualité.

La première femme est une collègue du héros, qui la présente ainsi : « Elle n’est vraiment pas très jolie. En plus des dents gâtées, elle a des cheveux ternes, des petits yeux qui brillent de rage. Pas de seins ni de fesses perceptibles. Dieu n’a vraiment pas été très gentil avec elle. (…) Je ne pense pas qu’elle tombe amoureuse de moi ; j’ai l’impression qu’elle est hors d’état d’essayer quoi que ce soit avec un mec. »

Dans une réunion, il l’observe : « Elle avait du rouge sur sa bouche et du bleu sur ses yeux. Sa jupe atteignait la moitié de ses cuisses, et ses collants étaient noirs. Je me suis dit subitement qu’elle devait acheter des culottes, peut-être même des strings… Je l’imaginai aux Galeries Lafayette, choisissant un string brésilien en dentelle écarlate ; je me sentis envahi par un mouvement de compassion douloureuse. »

À l’issue de la réunion, ils bavardent ensemble : « Elle s’était encore rapprochée de moi – nos corps étaient séparés par un vide de trente centimètres, tout au plus. À un moment donné, d’un geste certainement involontaire, elle pressa légèrement entre ses doigts le revers de mon col de veste. Je n’éprouvais aucun désir pour (elle) ; je n’avais nullement envie de la troncher. Elle me regardait en souriant, elle buvait du Crémant, elle s’efforçait d’être courageuse ; pourtant, je le savais, elle avait tant besoin d’être tronchée. Ce trou qu’elle avait en bas du ventre devait lui apparaître tellement inutile. Une bite, on peut toujours la sectionner ; mais comment oublier la vacuité d’un vagin ? Sa situation me semblait désespérée… Je me sentais prêt à accomplir les gestes nécessaires. Mais je me suis tu ; et au fond je pense qu’elle n’aurait pas accepté ; ou bien j’aurais d’abord dû enlacer sa taille, déclarer qu’elle était belle, frôler ses lèvres dans un tendre baiser. Décidément, il n’y avait pas d’issue. Je m’excusai brièvement… »

Le deuxième personnage féminin est une camarade de classe du héros pendant son adolescence. L’auteur la baptise Brigitte Bardot afin de rendre son portrait encore plus cruel : « Au moment où je l’ai connue, dans l’épanouissement de ses dix-sept ans, Brigitte Bardot était particulièrement immonde… Elle n’avait pas d’amies, ni évidemment d’amis ; elle était donc parfaitement seule. Personne ne lui adressait la parole, même pour un exercice de physique… Je suppose que ses parents devaient l’aimer. Que pouvait-elle faire, le soir, en rentrant chez elle ? Car elle devait sûrement avoir une chambre, avec un lit, et des nounours datant de son enfance… Avait-elle des fantasmes, et si oui lesquels ? Romantiques, à la Delly ? J’hésite à penser qu’elle ait pu imaginer d’une manière ou d’une autre et ne serait-ce même qu’en rêve qu’un jeune homme de bonne famille poursuivant ses études de médecine nourrisse un jour le projet de l’emmener dans sa voiture décapotable visiter les abbayes de la côte normande. À moins peut-être qu’elle ne se soit préalablement revêtue d’une cagoule, donnant ainsi un tour mystérieux à l’aventure.

Ses mécanismes hormonaux devaient fonctionner normalement, il n’y a aucune raison de soupçonner le contraire. Et alors ? Est-ce que ça suffit pour avoir des fantasmes érotiques ? Imaginait-elle des mains masculines s’attardant entre les replis de son ventre obèse ? descendant jusqu’à son sexe ? J’interroge la médecine, et la médecine ne répond rien… »

Le héros essaie de lui parler, de l’accompagner en ville, il l’embrasse sur la joue, mais finit par renoncer, car : « Sortir Bardot aurait demandé une force morale bien supérieure à celle dont je pouvais, même à l’époque, me targuer. » Il n’a pu répondre à son désir d’amour, mais constate, sans pouvoir offrir plus de solution qu’à sa collègue, que ce désir est bien là : « Le désir d’amour est profond chez l’homme. Il plonge ses racines jusqu’à des profondeurs étonnantes… Malgré l’avalanche d’humiliations qui constituait l’ordinaire de sa vie, Brigitte Bardot espérait et attendait. À l’heure qu’il est elle continue probablement à espérer et à attendre. Une vipère se serait déjà suicidée. Les hommes ne doutent de rien. »

Le héros offre la même compassion vaine à l’autre personnage masculin d’importance, son collègue de travail dont il partage la vie le temps d’une mission de formation. Ce collègue aussi est très laid, sans aucun charme. Il confie un matin au héros : « Putain, j’ai vingt-huit ans et je suis toujours puceau !… » Le héros s’en étonne, et son collègue lui explique « qu’un reste d’orgueil l’avait toujours empêché d’aller aux putes… Il a dit : « Je finirai peut-être par le faire. Mais je sais que certains hommes peuvent avoir la même chose gratuitement, et en plus avec de l’amour. Je préfère essayer, je préfère encore essayer. » Mais il est très maladroit dans sa quête d’amour ou de sexualité, se méprend sur l’amabilité de certaines femmes (en y voyant une promesse), se trompe d’objectif en faisant des avances à des femmes qui manifestement ne pourront pas s’intéresser à lui. Il va de rebuffades en rebuffades. Le héros, à ses côtés, ne peut que se répéter à chaque fois : « C’était perdu d’avance ! » Et un soir qu’ils avaient beaucoup bu, il lui expliquera : « C’est foutu depuis longtemps, depuis l’origine. Tu ne représenteras jamais un rêve érotique de jeune fille. Il faut en prendre ton parti ; de telles choses ne sont pas pour toi. De toute façon, il est déjà trop tard. L’insuccès sexuel que tu as connu depuis ton adolescence, la frustration qui te poursuit depuis l’âge de treize ans laisseront en toi une trace ineffaçable. À supposer même que tu puisses dorénavant avoir des femmes – ce que, très franchement, je ne crois pas – cela ne suffira pas ; plus rien ne suffira jamais. Tu resteras toujours orphelin de ces amours adolescentes que tu n’as pas connu… »

Ce collègue se révèle finalement comme un double du héros, offrant un miroir à celui qui se présentait ainsi : « Dépourvu de beauté comme de charme personnel, sujet à de fréquents accès dépressifs, je ne correspond nullement à ce que les femmes recherchent en priorité. Aussi ai-je toujours senti, chez les femmes qui m’ouvraient leurs organes, comme une légère réticence ; au fond, je ne représentais guère, pour elles, qu’un pis-aller. Ce qui n’est pas, on en conviendra, le point de départ idéal pour une relation durable. »

Le monde de Michel Houellebecq est particulièrement désenchanté, avec ces individus malades de solitude au milieu de la foule des autres. Seuls, parce que les égoïsmes sont effrayants (celui du couple qui abandonne dans la rue le héros souffrant). Sels, parce qu’ils ont rempli leurs vies par des actions vides, dans leurs professions ou leurs loisirs (« Il paraît invraisemblable qu’une vie humaine se réduise à si peu de choses »). Seuls aussi parce que si quelqu’un a remarqué leur souffrance, il ne pourra de toute façon être d’une aide quelconque… L’amour serait-il la solution ? Mais le couple du héros a été un échec, et son ami prêtre, qui a cru vivre un grand amour, se voit rejeter par une femme qui lui avoue avoir été seulement curieuse…

On a reproché à Michel Houellebecq sa pauvreté de pensée, et il est vrai que les raisonnements du héros ne vont pas très loin. Mais quelle richesse de la sensibilité dans l’attention aux perdants, aux plus démunis dans la lutte sociale, qui ne reste pas cantonnée au travail mais s’étend à la sexualité individuelle. Et quel grand talent de conteur !

Extension du domaine de la lutte n’est pas un grand livre, mais il m’a profondément ému, car il m’a fait revivre les plus dures de mes consultations.

  

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